Pages

Tuesday, June 23, 2020

"Pourquoi la marche et mon métier de psychiatre sont intimement liés" - Le HuffPost

jengkolpasar.blogspot.com

NATURE - Psychiatre hospitalière la semaine, j’accueille dans mon bureau des personnes en crise, angoissées, souvent très sensibles et perméables à l’autre. Il faut être là, évaluer, mais aussi rassurer, apaiser, écouter. Le reste du temps, je ne rate pas une occasion pour aller dans la nature, pour m’évader à travers la marche.

Paraissant pourtant aux antipodes, je sens de plus en plus une connexion entre la marche et ma profession. Je comprend doucement qu’elles sont en réalité intimement liées.

Il y a quelques années, je pensais marcher pour moi, pour me ressourcer, voire me vider. Face à l’immensité des montagnes, face au caractère immuable d’arbres centenaires, un souffle me traversait et m’apaisait. Des patients me livraient leur souffrance, je la déposais ici, au sommet d’une montagne restant de marbre (ou de granit, ou de calcaire…) ou au pied d’un hêtre impassible. Aucune histoire n’était plus grande que la montagne, aucun traumatisme ne pouvait ébranler la majesté de la forêt. La marche a d’abord été un moyen de déposer les poids dont me chargeaient ma profession.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous les témoignages que nous avons publiés.

Marcher pour échanger

Rapidement, j’ai aussi marché pour voyager à l’étranger. Ce mode d’interaction lent, à l’Autre et à son environnement, me donne le temps... Le temps de voir ce qui nous entoure, le temps de penser... Le temps de voyager à l’extérieur comme à l’intérieur de soi. Passer lentement et observer, passer du temps pour s’observer.

Ce mode de déplacement à échelle humaine me permet de passer des bouts de chemin avec d’autres, d’entrer dans les chaumières pour un repas et dans les maisons pour une nuit. Souvent, et ce malgré (et peut-être grâce à) la barrière de la langue et le peu de mots échangés, je prend conscience que ma réalité sur le monde m’est propre, que ce que je pense comme une certitude n’est en fait qu’interprétation, subjectivité.

En me détachant du langage, j’invente d’autres types d’échange. Dès lors, il faut ressentir, percevoir, imaginer. Et surtout ne rien conclure, faire l’expérience qu’on ne peut pas totalement comprendre le monde de celui avec qui l’on interagit. Dans mon bureau médical, quand les mots redeviennent le mode d’interaction principal, l’expérience du voyage me rappelle que d’autres partagent les mêmes espaces que moi mais vivent dans des univers très différents.

Marcher pour mieux comprendre

La marche en voyage me passionne car elle enrichit ma manière d’appréhender les personnes, leur histoire, leur vision du monde. Et donc de comprendre différemment les troubles ou les maladies psychiques. Grâce à cette activité qui paraît n’être qu’un loisir, je me sens plus disponible, même revenue au sein de mon bureau, pour rencontrer l’Autre et son univers propre.

Mais il y a infiniment plus que les femmes et les hommes que je rencontre en voyage. Il y a aussi leur environnement, les paysages dans lesquels ils vivent. Ces décors autrefois inanimés, de marbre ou impassibles, je les vois désormais foisonnant de vie. L’Autre, que je n’imaginais qu’humain, a multiplié ses formes: il est aussi devenu animal, végétal, voire même minéral. Les interactions avec mes congénères sapiens se sont alors enrichies de toutes les interactions avec des formes de vie non-humaines. Alors pour essayer de comprendre, de percevoir ou d’imaginer le monde de ces autres vivants ; pour faire l’expérience du chant mélodieux d’un merle, de l’odeur attirante d’une fleur, de la caresse d’un vent chargé de pollen… Ce sont tous mes sens qui se mettent en action.

Marcher pour aiguiser la sensibilité

Aujourd’hui, en me rendant disponible à toutes ses vies, j’ai l’impression d’avoir aiguisé ma sensibilité. Ainsi, marcher dans la nature avec mes cinq sens à l’affût est devenu une activité propice à l’interaction, une activité formidablement enrichissante et ressourçante. Ce n’est plus au sein d’un paysage placide que je dépose mes poids professionnels, mais plutôt au cœur d’un tourbillon de vie éternel qui emporte et “absorbe” la souffrance. Ces vies animales et végétales qui s’épanouissent me remplissent, par là même, d’énergie et de confiance. La semaine venue, je reviens dans mon bureau apaisée, enrichie, plus disponible pour l’Autre... plus ouverte à l’humain qui essaie de me raconter avec ses mots son univers en souffrance, mais aussi avec ses mimiques, sa respiration, sa posture.

Aujourd’hui, je me rend compte que les effets bénéfiques qu’ont sur moi la marche dans la nature dépassent largement la lubie personnelle. De plus en plus de recherches montrent en effet que les interactions avec la nature renforcent nos défenses immunitaires, atténuent de nombreux maux corrélés à nos modes de vie modernes tels que la dépression et l’anxiété, majorent les capacités d’attention et donc la disponibilité psychique. Mon expérience paraît donc rejoindre une réalité plus globale; une réalité qui me conforte dans l’idée que la marche dans un milieu naturel offre un remède dont il serait fort dommage de ne pas se servir.

La marche comme un remède

En fait, au-delà d’un “simple” remède, la nature semble même plutôt faire office de terrain propice à la santé: elle replace l’Homme au cœur des interactions millénaires qui l’ont façonnées. Nous ne sommes humains que grâce à notre évolution pendant des centaines de milliers d’années dans un environnement naturel, et en cela en perpétuelle négociation avec la toile du vivant...

Mon sentiment, c’est que notre environnement urbain et numérique rentre difficilement en résonance avec notre nature profondément humaine. Et malheureusement, plutôt que de “modeler” notre environnement afin qu’il réponde à nos aspirations profondes, nous privilégions trop, à mon goût, le curatif, le remède ou le médicament miracle pour soigner nos maux.

De combien diminuerais-je les prescriptions d’anti-dépresseur si chacun avait la possibilité de traverser chaque matin, pendant un petit quart d’heure, une aire naturelle foisonnant de biodiversité, d’arbres, d’oiseaux et de fleurs? Cela peut paraître angélique, et pourtant…

Notre histoire évolutive et les récentes recherches universitaires devraient nous rappeler à la raison.

Pour aller plus loin:

Profitant de son statut d’intérimaire, Justine va se lancer très prochainement dans une nouvelle aventure où la nature aura toute sa place. En juillet elle repart sur les chemins avec Maxime, son compagnon, pour traverser la France à pied, “pour renouer un contact sensible avec le vivant qui peuple ses terres rurales et sauvages”.

De Hendaye à Menton, entre le 12 juillet et début octobre, afin de relier les frontières Atlantique-Espagne et Méditerranée-Italie, ils privilégieront les zones rurales et les parcs naturels propices à la marche. Pics et canyons des Pyrénées, steppes et gorges des causses du Massif Central, crêtes et forêts des Préalpes, pâturages et cols des Alpes du Sud... peu de régions dans le monde rivalisent avec la diversité, la densité et la beauté des paysages du quart Sud de notre petit hexagone.

Vous pourrez les suivre à travers des photos et le récit de leur pérégrination grâce au blog hébergé sur leur site internet dédié à la nature et au voyage: www.max-de-nature.fr/traversée-france

Bon voyage cet été en leur compagnie!

_______________________________________________________________________

Retrouver la nature, au plus vite. Les arbres, l’herbe, le soleil, l’océan ou la mer, les lacs et les rivières, la montagne ou la campagne. Après deux mois de confinement et un déconfinement progressif, cette année, peut-être plus encore que les autres, le besoin de s’évader en pleine nature se fait pressant.

Pourtant, les conditions de cette évasion ne seront pas forcément réunies. Difficile de plier bagages en cette période encore incertaine. Frontières pas toujours ouvertes, virus encore présent et crise économique ont de quoi calmer les ardeurs des plus aventuriers.

C’est pourquoi Le HuffPost Life vous propose, du mercredi 17 au dimanche 28 juin, des pistes pour profiter à fond de la nature cet été, et ce qu’on soit en ville ou à la mer, qu’on ait les moyens financiers ou pas, qu’on puisse partir loin ou qu’on soit coincé chez soi.

À voir également sur Le HuffPost: Ces “randonneurs invraisemblables” sont des randonneurs comme les autres




June 24, 2020 at 09:10AM
https://ift.tt/3fN2U6o

"Pourquoi la marche et mon métier de psychiatre sont intimement liés" - Le HuffPost

https://ift.tt/3fSP82o
marché

No comments:

Post a Comment